Synthèse de la note élaborée pour Terra Nova par Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national du PS à la sécurité. Version complète sur le site de la fondation.
Huit ans après sa nomination au ministère de l’Intérieur, le bilan sécuritaire de M. Sarkozy apparaît dans toute l’étendue de son échec. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les études de la Commission européenne pour constater que la France est, parmi les pays de l’Union, l’un de ceux qui enregistrent le nombre le plus élevé de violences urbaines, et le seul dont l’image de la police se soit dégradée depuis 2002.
Ce constat, fortement ressenti par les Français, tranche avec les communiqués triomphalistes qui pleuvent quotidiennement depuis le ministère de l’Intérieur. Il illustre en tout cas la faillite d’une politique sécuritaire qui, depuis quelques années, sacrifie l’institution policière et ses agents sur l’autel du résultat médiatique gouvernemental.
Car c’est un fait qu’on oublie trop souvent mais qu’il faut rappeler avec force : depuis 2007, M. Sarkozy s’est complètement désintéressé de la police et des forces de l’ordre, dont il avait fait pourtant l’instrument de sa conquête du pouvoir. Baisse des dépenses de fonctionnement et coupes sombres dans les dépenses d’investissement, suppression de 6 000 postes depuis 2007 et de 4 000 postes supplémentaires d’ici 2012, démantèlement de l’appareil de formation, dégradation des conditions de travail des agents : le président de la République a renié tous les engagements de l’ex-ministre de l’Intérieur, et la RGPP qu’il promeut a réduit à néant tous les objectifs de la loi d’orientation (LOPSI) qu’il avait fait voter.
Il serait encore possible d’étoffer le réquisitoire en évoquant l’hypercentralisation des services de renseignement, la répartition de plus en plus floue des compétences entre polices municipales et police nationale, la persistance d’inégalités territoriales scandaleuses dans la répartition des effectifs ou l’incapacité du ministère à rationaliser le travail des policiers en réduisant les gardes statiques et autres « tâches indues ». On pourrait aussi traiter de la consigne donnée aux préfets et aux policiers travaillant en zones sensibles de ne plus se risquer dans certaines cités et d’éviter tout contact avec la population…
Mais ces considérations n’apporteraient sans doute rien de plus à l’argumentation, car qui dira au président de la République l’ampleur de l’impasse dans laquelle sa politique conduit la Police nationale ? Probablement personne, et c’est sans doute là le talon d’Achille de cet homme, entouré d’un aréopage de gradés de la police parisienne, couverts d’honneurs et de promotions, que M. Sarkozy nomme à tous les postes stratégiques, mais qui, comme lui, ont déroulé toute leur carrière à Paris ou dans sa très proche banlieue, ne voient la police qu’à travers la « PJ » et les unités spéciales (RAID ou BAC), sans rien connaître du quotidien difficile des commissariats de province ni des questions de sécurité publique, d’ordre public ou de police aux frontières.
Fasciné par les actions spectaculaires et obsédé par le résultat immédiat, l’état-major policier du président multiplie les plans de mobilisation et les structures de coordination au détriment de toute cohérence d’ensemble. Le ministère laisse la police s’épuiser dans une myriade d’actions ponctuelles destinées à remplir des colonnes de statistiques et se perdre en interventions tout aussi habilement médiatisées que dramatiquement inefficaces.
La lutte contre l’économie souterraine du crime, contre une délinquance de plus en plus structurée qu’alimentent les trafics de toutes sortes, exige pourtant des actions patientes et de longue haleine, qui ne peuvent aboutir dans un climat de défiance ou d’hostilité de la population et de harcèlement statistique des forces de l’ordre.
Les syndicats ont beau se plaindre que le temps policier et celui de la justice n’ont aucun rapport avec le temps politique, la police de Nicolas Sarkozy n’est conçue qu’en fonction de son efficacité médiatique supposée. Au bout du compte, c’est bien l’inefficacité, l’impuissance et la stérilité qui sanctionnent une telle gesticulation. L’institution policière se dégrade, les personnels se démotivent, les élus sont écœurés et les victimes se désespèrent. En quatre ans d’indifférence, Nicolas Sarkozy a fourvoyé la police républicaine pour le plus grand malheur de la société française.
Les remèdes existent pourtant : redéploiement des effectifs en fonction des besoins prioritaires, recentrage des agents sur leur cœur de métier, relance de l’investissement, revalorisation des carrières. Encore faudrait-il que le diagnostic de départ soit reconnu et que cesse l’autosatisfaction de la Place Beauvau. A l’heure où des choix décisifs se préparent devant le Parlement, c’est à une vraie prise de conscience que le gouvernement doit rapidement procéder, à moins de voir le malaise grandissant de la police dégénérer en une crise ouverte aux conséquences incalculables.