Le pouvoir contre l’intérêt général

Extraits de l’entretien avec Pierre Rosanvallon publié dans Le Monde daté du 21 septembre (p. 19):
« Le ressort de la vision sarkozienne est que la démocratie signifie : « Puisque je suis élu, je suis la volonté générale », ce qui est, me semble-t-il, difficilement acceptable. Un des principaux problèmes de l’exercice actuel du pouvoir est de projeter une définition dangereuse de la démocratie, qui me semble se rapprocher sur certains points des théories de la  » démocratie souveraine  » de Poutine ou renvoyer à la philosophie politique du Second Empire, invoquant l’appui des masses au plébiscite pour s’estimer seul détenteur de l’intérêt général. Car, en démocratie, personne ne peut se prétendre seul propriétaire de l’intérêt public et incarner la volonté générale. »
« L’élection donne une légitimité à gouverner sur la durée du mandat – et c’est une bonne chose pour ne pas être otage de la démocratie d’opinion. Mais la légitimité se joue aussi sur le terrain du contenu des décisions. C’est cela que le pouvoir présidentiel actuel n’accepte pas ; il confond en permanence légitimité de nomination et légitimité de décision. C’est une grande faute : la légitimité n’est pas simplement de l’ordre d’un statut acquis une fois pour toutes, elle est une qualité qui doit s’éprouver, se construire en permanence. »
« Dans la vision sarkozienne, les syndicats sont des institutions particulières de la société civile, alors que le pouvoir d’Etat se prétend le seul représentant de la généralité sociale. Eh bien, ce n’est pas vrai. La démocratie sociale veut dire que, pour des raisons de proximité et d’histoire, il y a une forme de représentation du monde social organisé (les syndicats), mais aussi du monde social diffus (les manifestations) qui vaut représentation démocratique légitime. Or on fait comme si la légitimité électorale absorbait toutes les autres formes de légitimité et de représentation. (…) cela renforce cette espèce d’évidement de la vie sociale entre le superpouvoir du sommet et une société atomisée qu’on ne veut pas voir exister à travers ces organisations intermédiaires que sont les syndicats ou les associations. »
« La démocratie, ce n’est pas simplement aspirer le pouvoir vers le sommet en espérant qu’il sera celui d’un « jacobin bienveillant ». Cela consiste au contraire à donner du pouvoir aux gens, à faire descendre le pouvoir, à le faire circuler dans la société. Le monde moderne est d’ailleurs dans une contradiction : on y attend de plus en plus des individus qu’ils se prennent en charge eux-mêmes et qu’ils soient responsables dans tous les domaines, alors qu’en politique on assiste à une sorte de captation du pouvoir et à une déresponsabilisation des individus (« Faites-moi confiance, je m’occupe de tout »). »

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