Comment on accueille une Brésilienne en France

Nous nous faisons ici l’écho d’un témoignage récemment diffusé dans les milieux universitaires, bien symptomatique de l’accueil réservé aux étrangers lors de leur arrivée dans un aéroport français. Il est rapporté par trois récits enchâssés, dont le premier est issu d’un enseignant de l’université de Nanterre qui s’adresse à ses pairs.

*     *     *

Chers collègues,

C’est avec colère que je vous fais suivre ce long message en demandant à  tous qu’il soit largement diffusé.

Ministres et conseillers de cabinet osent nous parler de l' »image de notre université à l’étranger », que notre grève contribue, parait-il, à ternir. Une histoire absolument vraie, comme celle-là, montre dans le monde entier une image de la France comme un état policier, soumis à l’arbitraire. Elle est arrivée à une collègue brésilienne, elle peut se répéter demain pour n’importe quel invité à un colloque, n’importe quel ami étranger que nous invitons à passer une semaine ou deux à la maison, plutôt que de se ruiner à l’hôtel!
Déjà nos partenaires s’inquiètent et se bardent d’attestations et de documents ou même… renoncent à venir participer à un colloque en France ou à y passer une année d’études post-doctorales, trop risquée!
L’histoire circulait depuis une quinzaine de jours, en portugais, sur les réseaux universitaires brésiliens, nous l’avions déjà répercuté sur le Réseau Pôle Brésil de Nanterre. Elle est ici en français et complétée par les récits des collègues et amis français qui, malgré leurs efforts, n’ont pas réussi à se faire entendre de la police et à empêcher l’expulsion scandaleuse d’une universitaire qui venait en France passer ses vacances chez des amis et prendre quelques contacts professionnels.
A propos, cette année 2009 est l’Année de la France au Brésil, avec force commémorations officielles, visite du président Sarkozy le jour de la fête nationale brésilienne, le 7 septembre, comme le président Lula avait visité la France le 14 juillet 2005, pour l’Année du Brésil en France, et aussi des colloques… parmi lesquels un colloque, que je co-organise, consacré aux « Réseaux intellectuels France-Brésil, 19e-20e siècle ». Pour le 21e siècle, combien faudra-t-il de « laisser-passer » pour que les réseaux fonctionnent?
Cordialement,
I. M.
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Responsable du Réseau Pôle Brésil

Début du message réexpédié :

Honte et révolte sont les deux sentiments qui m’animent depuis vendredi dernier. Honte d’être français et révolte contre un pouvoir qui a comme ligne de conduite la répression dans tous ses états !
Les faits : vendredi 10 avril 2009, une amie brésilienne, professeur-chercheur en université, a été retenue par les services de la police française à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle et a passé la journée en rétention parce qu’elle n’avait pas une attestation d’accueil officielle mais seulement une attestation d’hébergement rédigée par R. et moi comme nous l’avions toujours fait pour tous nos amis brésiliens que nous avons accueillis depuis de nombreuses années. Malgré nos interventions répétées, nous n’avons appris son incarcération que vers 18 h et son expulsion avec 16 autres Brésiliens et Brésiliennes par le premier avion en partance pour Rio de Janeiro à 21h50 le même jour.
Je vous joins le récit de Solange et le mien en fichiers attachés. Nous avons appris par Solange que dans le groupe expulsé il y avait une jeune fille qui avait payé 5 jours d’hôtel alors que son billet était établi pour 7 jours.
Je suis révolté, non seulement par les conditions de détention, mais aussi par la désinvolture et le manque d’humanité qui ressort de cette lamentable affaire et plus encore par la restriction de nos libertés individuelles qui découle des conditions de l’établissement de cette « attestation d’accueil » officielle qui est demandée par l’Etat français aux étrangers venant de l’extérieur de l’espace Schengen.
En effet, renseignements pris, on demande l’avis d’imposition de la personne qui accueille, trois quittances d’électricité, une quittance de loyer, l’état de salubrité du logement et la photocopie de la pièce d’identité entre autres renseignements, et 45 euros de timbres fiscaux. Et la mairie ou la préfecture peuvent ne pas autoriser l’accueil. La France a vraiment perdu son aura de « terre d’accueil ».
N’avons-nous plus le droit de recevoir nos amis étrangers sans en demander l’autorisation? C’est une restriction de plus de nos libertés individuelles.
Si comme moi vous êtes choqués et honteux faites passer ce courriel à tous vos amis. Merci,
Yves B.

Le récit de Solange F. :

Comme tous mes amis  le savaient, j’avais programmé d’aller à Paris en vacances, visiter un couple d’amis, Yves et R., fêter mon anniversaire, établir des contacts avec des instituts de recherches et d’enseignement et de réaliser mon rêve de connaître la France.

Je suis partie d’Ilhéus le 09/04/09 à 12h32, destination Salvador de Bahia par le vol TAM 3680 (TAM LINHAS AERAS SA) puis de Salvador de  Bahia destination Paris par le vol TAM 8068 arrivée à l’ Aéroport Charles de Gaulle à 14 heures le 10 /04/09.
Au sortir de l’avion dans l’aéroport CDG,  j’ai été retenue pour la vérification des documents. J’ai été conduite sans aucune explication dans une salle de la police française (DPAF de Roissy). Une policière a alors demandé de vérifier mon passeport, mon billet d’avion de retour, l’argent disponible, l’attestation d’hébergement et mes assurances. Pour prouver mon hébergement, j’ai présenté une attestation d’hébergement faite par Yves et R. B., ce couple d’amis qui devaient m’héberger durant tout mon séjour à Paris. Je lui ai expliqué que je n’avais pas d’assurances spéciales mais j’ai présenté ma carte d’assurance privée brésilienne, un bulletin de salaire émis par le gouvernement de l’état de Bahia datant de mars 2009, montrant que je suis en activité à l’université de Santa Cruz à Bahia (Brésil) comme enseignante-chercheur. Sans autres explications, j’ai été conduite avec deux autres personnes vers une autre salle de la police dans laquelle se trouvait déjà  un autre Brésilien.
J’ai demandé des explications au policier à l’accueil mais il m’a dit de m’asseoir avec un ton de voix menaçant et agressif. A ce moment là,  j’ai réalisé que j’allais être expulsée de France et que je ne pourrais pas demander des éclaircissements parce que je craignais d’être considérée comme « agressive », ce qui pourrait aboutir à des événements encore plus graves comme par exemple être mise en prison sur le territoire français.
Plus tard, un autre policier a mis des gants et a demandé  au Brésilien de le suivre dans une autre salle. Dix minutes plus tard un autre Brésilien a été aussi emmené. Après deux policières ont demandé à deux autres filles qui nous avaient rejoint d’aller dans une autre salle. Après ça a été mon tour.
Dans cette salle il y avait mon sac à dos et mon sac à main. J’ai dû mettre tout sur une table et m’éloigner de mes affaires, et les deux policières ont tout fouillé. Elles ont confisqué mon passeport et mon argent (200 réals, 100 dollars et 1800 euros). A ce moment-là, j’ai demandé à nouveau des éclaircissements sur l’expulsion mais une policière m’a dit de « fermer ma gueule »  sur un ton menaçant.
L’autre policière  s’est alors rendue compte  que je ne constituais pas un  risque pour la sécurité française et qu’ils avaient commis effectivement un excès de zèle  en m’empêchant de rentrer en France. J’ai de nouveau  présenté à cette policière mon bulletin de salaire,  mes trois cartes de crédit (Visa Ourocard Platinum, Mastercard Ourocard Platinum et Ourocard Gold, toutes émises par la Banque du Brésil), l’attestation d’hébergement et des e-mails des professeurs et collègues de travail avec lesquels j’avais l’intention de m’entretenir durant mes vacances. En effet, j’envisageais de faire un post-doctorat en France dans un futur proche. J’ai montré l’e-mail du professeur H. P. (professeur français à l’UESC – Université de l’Etat de Santa Cruz à Bahia, Brésil) qui est en ce moment en stage post-doctoral au laboratoire d’astrophysique de Marseille), de M. J. D. (français, biologiste, qui travaille à Intervivos) et de M. De P. C.,  chercheur brésilien, en stage post-doctoral au LATMOS (Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales).
J’ai expliqué que je n’avais pas d’invitation officielle  pour visiter ces laboratoires  parce que j’étais en vacances, mais que, même en tant que touriste, et comme coordinatrice de recherches de l’université, j’allais  aussi prendre des contacts professionnels pour envisager un post-doctorat et pour articuler avec des institutions françaises la soumission de projets  dans le cadre du 7ème programme pour l’investigation et le développement technologique de la communauté européenne.
Quand j’ai demandé à cette policière comment je pourrais inverser la situation, elle m’a informée que ce serait  seulement possible grâce à une intervention de l’ambassade du Brésil en France, et que dans la salle ou j’allais être « détenue » il y avait un téléphone et que je pourrais m’en servir.  La même policière m’a donné le numéro de téléphone de l’ambassade (01 43 59 89 30).
J’ai été conduite dans une salle de détention ou il y avait déjà 5 autres personnes détenues. J’avais uniquement les vêtements que j’avais sur moi, un papier avec les numéros de téléphone de H. et de R. et celui de l’ambassade. Mon sac à dos et mon sac à main sont restés par terre dans un couloir d’accès à cette salle, et mon passeport et mon argent ont été retenus par la police française.
J’ai appelé le numéro de l’ambassade qui répondait seulement avec un répondeur indiquant un numéro à contacter pour les urgences (06 80 12 32 24). J’ai laissé un message sur un deuxième répondeur pour expliquer ma situation. « Détenue dans un aéroport d’un autre pays, désespérée, espérant une aide officielle du Brésil, je n’arrive à parler qu’à un répondeur ».
Avec un unique téléphone dans une salle de détention où se trouvaient maintenant quinze autres personnes, j’ai enfin réussi à parler avec mon ami H. qui était à Marseille en lui demandant de me venir en aide et de contacter l’ambassade du Brésil en France et avec mes amis Yves et R. qui se trouvaient à l’aéroport Charles de Gaulle, essayant de résoudre le problème.
Le temps passait, quelques personnes désespérées, d’autres en larmes dans une salle pas propre et où il y avait seulement dix places assises avec un unique téléphone disputé par tous. L’énervement, le sentiment d’insécurité et le désespoir augmentaient.
Je crois vers 17 heures (je n’avais pas de montre) on nous a apporté de la nourriture dans un sac : une boite de salade au thon, un morceau de pain, un paquet de chips, une bouteille d’eau et un dessert crémeux de bananes et pêches  qui a servi a écrire les numéros de téléphones que nous obtenions sur le mur de la salle de détention (nous n’avions ni papier ni crayon !).
Vers 18 heures nous étions tous conduits de nouveau dans la salle du département de police où un  interprète allait nous signifier notre expulsion. Plusieurs personnes désespérées voulaient des éclaircissements, mais en réalité c’était une formalité de plus qui était destinée à nous informer que nous quitterions la France par le premier vol et que la seule solution était de signer les termes du « refus d’entrée en France » composé de 5 pages toutes écrites naturellement en français.
Puis on est retourné dans la salle de détention ou j’ai réussi à avoir au téléphone un fonctionnaire du consulat du Brésil qui était au courant de ma situation ayant écouté le répondeur et ayant parlé avec mon ami H.  Il m’a informée qu’il ne pouvait rien faire et que je devais retourner au Brésil.  J’ai réussi à parler avec Yves et R. qui étaient toujours à l’aéroport et qui avaient déjà fait des tentatives inopérantes pour prouver qu’ils allaient vraiment m’héberger chez eux.
Vers 21 heures le 10 avril 2009 la police française m’a rendu mon argent et j’étais conduite avec 16 autres Brésiliens, escortés par 10 policiers français, à la porte d’embarquement pour prendre le vol Tam  JJ 8055 destination Rio de Janeiro.
(…) J’aurais dû avoir mes valises à l’aéroport de Rio de Janeiro mais je ne les ai pas encore reçues (le 13 avril) !
(…) Ce message bien que long ne parvient pas à dire la grande frustration, la peur, l’insécurité, le manque de respect et les préjugés que j’ai vécus durant  ces 75 heures. Présentement  je voudrais que les autorités brésiliennes et françaises prennent connaissance de « l’événement » que j’ai vécu et aussi donnent des éclaircissements.
En fait, ce qui devait être un cadeau d’anniversaire  a généré beaucoup de souffrances.
Cordialement,
Solange

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *