ABANDONNER
Conseillère à l’Elysée à vingt-sept ans, députée à trente-cinq ans, ministre à trente-huit ans, qui ou quoi aurait pu vous faire abandonner la politique en cours de route ?
Sans hésiter, un enfant malade ou avec de lourds problèmes et dont il aurait fallu s’occuper à plein temps. Devant la maladie grave ou le handicap, tout devient plus difficile.
ACTEUR
Vous dites souvent que chacun doit être « acteur de sa propre vie ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela part d’un constat : la plus grande injustice, aujourd’hui, est entre ceux qui subissent leur vie (un travail qui ne paie pas, un chômage qui n’en finit pas, un RMI dont on ne sort pas, un logement que l’on ne peut pas quitter, une école pour ses enfants que l’on ne peut pas choisir…) et ceux qui ont les moyens de leur liberté, qui ont une marge de manoeuvre.
Cela veut dire que le but, ce n’est pas l’assistanat, qui humilie et décourage, mais la responsabilité individuelle, le pouvoir de conduire sa vie, de faire ses propres choix, donc de répondre de ses actes. Pour que cette possibilité ne reste pas le privilège de quelques-uns – ceux qui ont la sécurité financière, ceux qui ont les relations –, mais devienne le droit effectif de tous, même de ceux qui ont un accident de parcours, il faut lier solidement la responsabilité personnelle et les solidarités collectives. Il faut des filets de sécurité qui permettent de garder ou de reprendre le contrôle de sa vie. La responsabilité sans la solidarité, c’est la société du chacun pour soi, c’est la loi du plus fort, du plus riche ; c’est cette idéologie qui veut que les pauvres soient coupables de leur pauvreté et qui se désintéresse des conditions qui permettent à chacun d’être vraiment responsable de lui-même. Et la solidarité sans la responsabilité, c’est l’assistanat, c’est-à-dire une façon d’aider qui n’aide pas à maîtriser le cours de sa vie mais, au contraire, enfonce dans la dépendance et la passivité. Ce n’est pas une solidarité vraie. Moi, je refuse avec autant de force l’abandon et le laxisme qui, l’un comme l’autre, privent les individus de leur dignité, de leur liberté, de leur capacité d’initiative.
ADOPTION
Aujourd’hui, en France, un célibataire peut adopter un enfant mais pas un couple concubin. Trouvez-vous cette loi juste ?
Lorsque j’ai réformé la loi sur l’autorité parentale, j’ai insisté sur l’égale responsabilité des deux parents quel que soit le statut de leur couple (marié, concubin, divorcé ou séparé). Or que se passe-t-il aujourd’hui quand deux personnes qui vivent ensemble sans être mariées veulent adopter ? Seule l’une d’entre elles peut entreprendre les démarches, comme si elle était célibataire, et sera donc juridiquement reconnue comme parent unique. C’est d’autant plus ridicule que, par ailleurs, la loi reconnaît le concubinage et le PACS et qu’elle ouvre le droit à la procréation médicalement assistée à un couple de concubins vivant ensemble depuis plus de deux ans. De plus, le droit français a établi une complète égalité entre les enfants nés dans le mariage et ceux issus d’une union libre. Empêcher un couple de concubins d’adopter est donc discriminatoire, décalé par rapport à l’évolution des familles et nullement conforme à l’intérêt des enfants. Une fois encore, la société est en avance sur les lois et les pratiques administratives.
Aux Pays-Bas, un couple homosexuel peut adopter un enfant. Au Danemark, un homosexuel a le droit d’adopter l’enfant adopté de son partenaire. En Angleterre, un couple d’homosexuels peut exercer l’autorité parentale. Quelle est votre position sur ces questions ?
J’ai toujours considéré que la responsabilité éducative qui incombe aux parents est distincte de leur choix de vie personnel, qu’ils soient mariés ou non, qu’ils vivent ensemble ou séparément et qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. C’est pourquoi, lorsque j’étais ministre de la Famille, j’ai considéré l’Association des parents gays et lesbiens comme un partenaire au même titre que les autres associations familiales. La loi sur l’autorité parentale votée sur ma proposition s’applique aux parents de même sexe comme aux autres. Je crois qu’une politique familiale juste et efficace suppose des principes clairs et des règles qui s’appliquent à tous. Ces principes, pour moi, sont l’égalité des droits et des devoirs des parents, le refus de toute discrimination et l’intérêt de l’enfant. Cela fait partie de ce que j’appelle la république du respect. Comme vous le disiez, en effet, un grand nombre de pays européens reconnaissent une possibilité de parentalité partagée par des parents du même sexe (notamment en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Norvège, au Danemark, en Finlande…) et la possibilité d’adopter pour un couple homosexuel (en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Scandinavie…). En France, quelques décisions d’adoption simple mais pas plénière ont été rendues pour des couples homosexuels, mais les jugements varient selon les juridictions. Ainsi, certains préjugés ont reculé et les mentalités continuent à évoluer, même s’il reste encore du chemin à parcourir. De nos jours, une majorité de Français acceptent l’idée du mariage homosexuel. Ils sont, en revanche, un peu plus réticents sur l’adoption. Il faut continuer à convaincre car l’orientation sexuelle est sans lien avec les capacités parentales.
AIDES PUBLIQUES
Dans votre Région, le Poitou-Charentes, vous attribuez des aides publiques aux entreprises qui s’engagent à ne pas licencier ou délocaliser quand elles font des bénéfices. Est-ce possible d’étendre cette mesure au niveau national ?
Lorsque Hewlett Packard a annoncé, en 2005, 1 400 licenciements dans ses usines françaises, le gouvernement a promis qu’on allait voir ce qu’on allait voir. A l’entendre, le « patriotisme économique » exigeait que l’entreprise rembourse les aides publiques qu’elle avait perçues, notamment des collectivités territoriales. Mais ces aides avaient été consommées et nulle clause ne prévoyait leur restitution en cas de licenciements alors que l’entreprise faisait des profits. Le Premier ministre agitait son sabre de bois, il aurait mieux valu poser à temps des conditions claires. Personne n’y avait pensé. Hewlett Packard a licencié, n’a pas rendu un centime et je crois me souvenir qu’en prime on s’est aperçu que 600 millions d’euros avaient échappé au fisc français du fait de pratiques dites d’optimisation fiscale – d’évasion fiscale, en langage clair – particulièrement au point. Un gachis social, économique et financier sans aucune contrepartie… Moi, dans la Région Poitou-Charentes, j’ai instauré, en même temps que la création d’un fonds d’aide à l’innovation, ce que j’appelle un « bon deal ». Des subventions publiques sont débloquées rapidement pour accompagner les entreprises qui prennent le risque de développer des produits ou des procédés nouveaux. En échange, celles-ci s’engagent à ne pas licencier ou délocaliser si elles font des profits, à ne pas porter atteinte à leur environnement, et à promouvoir l’égalité professionnelle des femmes et des hommes. Cela donne lieu à une charte d’engagements réciproques que l’entreprise bénéficiaire et la Région signent ensemble et qui est portée à la connaissance de tous les salariés. En cas de manquement à ces engagements, les fonds publics doivent être restitués. C’est une idée qui a pris forme dans les forums participatifs de la campagne des élections régionales de 2004 et c’est une des premières décisions que j’ai prises lorsque j’ai été élue présidente de Région. Elle correspond à cette conviction simple : pas de droits sans devoirs. L’argent public, c’est l’argent du contribuable. Un euro dépensé doit être un euro utile à la collectivité. Que n’ai-je pas entendu ! « On ne pouvait pas avoir de telles exigences », « les entreprises n’accepteraient jamais », etc. En réalité, les chefs d’entreprise savent très bien ce qu’est un contrat et cela ne les a pas choqués. Ils ont tous signé cette charte sauf un. Alors oui, il est possible de subordonner le versement des aides publiques aux entreprises à certaines conditions de bon sens, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale. Les entreprises qui recevront des aides publiques devront s’engager à ne pas licencier si elles font des bénéfices substantiels. En cas de délocalisation, elles devront rembourser. Je le ferai parce que je crois aux partenariats gagnantgagnant, bons pour les entreprises et bons pour la collectivité.
AMERIQUE
Entre l’américanophobie des uns et l’américanolatrie de certains autres, comment voyez-vous les relations de la France avec les Etats-Unis ?
Comme des relations d’amitié, sans servilité, et d’alliance, sans allégeance. Et surtout dans la perspective d’un monde multipolaire ou` la voix de la France et le poids de l’Europe sont plus que jamais nécessaires à la construction d’un ordre international juste. Entre l’Amérique et la France, c’est une amitié profonde, indéfectible et fondée sur une histoire pluriséculaire. Regardez le film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette : on voit combien la France s’est endettée, presqu’appauvrie, pour contribuer à l’émancipation de l’Amérique. Inversement, on sait bien que sans l’Amérique, nous Français n’aurions pas été libérés en 1945. Je ne confonds pas le peuple américain avec les orientations de son gouvernement en politique étrangère. Je ne confonds pas l’alliance avec les Etats-Unis et l’alignement sur M. Bush. Je constate au demeurant que l’opinion américaine s’est beaucoup rapprochée de l’opinion européenne sur la guerre d’Irak, et que la prise de conscience des dangers pesant sur l’environnement progresse. La fin de la guerre froide n’a pas débouché sur un monde apaisé et rien ne serait plus dangereux que d’apprécier les menaces d’aujourd’hui avec les réflexes de l’ancien conflit Est-Ouest. La prolifération nucléaire, le terrorisme et les nouveaux désordres du monde, voilà les risques tangibles d’aujourd’hui. La France doit pouvoir parler avec franchise à ses amis : ce n’est pas le déploiement inconsidéré de la force à travers des opérations unilatérales qui réduira ces menaces. La réponse doit être politique pour assécher le terreau des rancoeurs et des humiliations sur lequel prospèrent les intégrismes et les fanatismes. La France doit aussi dire que le monde n’est pas plus sûr après l’intervention américaine en Irak : la guerre civile fait rage et le fanatisme y trouve de nouveaux renforts. La France a su parler juste et la prise de conscience de l’erreur commise en Irak a pesé dans les récentes élections américaines qui ont donné une majorité aux démocrates. Le traitement des crises par l’ONU, qui devrait être la règle, est biaisé par le fait que seule une puissance, les Etats-Unis, est capable d’intervenir militairement ou que ce soit dans le monde, même et y compris sans l’accord du Conseil de sécurité. La France et l’Europe sont, elles, attachées au multilatéralisme. Puissances militaires sans ambition impériale, elles entendent contribuer à une sécurité collective fondée sur le respect du droit international. Or le gouvernement américain fait souvent peu de cas des résolutions du Conseil de sécurité comme d’ailleurs du protocole de Kyoto sur l’environnement. La justice pour les peuples et la sécurité de la planète sont indissociables. Elles exigent que nous tenions à nos alliés le langage de la clarté et de la fermeté. Puissants, les Etats-Unis se laissent parfois emporter jusqu’à l’erreur par le poids même de leur puissance. Je veux que nous soyons des partenaires fiables, solides, mais sans complexe. L’unilatéralisme est une impasse historique. De nouvelles puissances s’affirment qui auront, de plus en plus, les moyens de se faire entendre et de peser : la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud… L’Europe doit être de la partie et, pour ce faire, ne pas se limiter à une zone de libre-échange adossée à l’OTAN. Voilà pourquoi la relance de l’Europe de la défense est impérative et pourquoi tous les efforts ne doivent pas se borner à la mise en place de la force de réaction rapide de l’OTAN. C’est l’Europe qui doit émerger comme acteur stratégique indépendant. Le maintien du statut spécifique de la France est le garant de la souveraineté de nos choix de sécurité. J’entends bien sûr que la France soit fidèle aux engagements qu’elle a souscrits dans le traité de l’Atlantique nord mais aussi qu’elle veille à ce que l’OTAN ne dérive pas vers un rôle de gendarme du monde, au détriment de l’ONU, ce qui ne serait pas accepté par les autres peuples ou Etats du monde Il n’est donc pas question que nous nous laissions entraîner dans une folle « guerre des civilisations », fût-elle menée au prétexte de la démocratie. Une France assumant sa liberté de parole et une Europe forte, telles sont à mes yeux les conditions d’une relation transatlantique équilibrée et d’une amitié vraie avec l’Amérique.
AMITIE
Avez-vous des amis d’enfance ?
Quand j’étais enfant, nous avons souvent déménagé, ce qui n’aide pas pour garder des liens durables. Jusqu’en 6e, j’étais en Martinique, puis, dans les Vosges, ensuite, à Nancy… Mais j’ai la grande joie d’être régulièrement contactée par des amis d’enfance malgré l’éloignement géographique. Il y a quelques semaines, deux amies de ma classe de CM2 à Fort-de-France sont venues à ma rencontre ! J’ai eu le même plaisir lors d’une réunion publique dans les Vosges. Et, récemment, une centaine d’habitants de mon village se sont rassemblés autour de mes deux frères pour me soutenir. Ça m’a beaucoup touchée.
ANGLAIS
Vous racontez dans un de vos livres que, lorsque vous avez préparé en juin 1981 le premier sommet des chefs d’Etat des pays industrialisés, vous n’aviez pas osé dire que vous ne parliez pas couramment anglais. Ça s’est arrangé depuis ?
A l’ENA, les enfants de la grande bourgeoisie parlaient parfaitement les langues. C’est vrai, l’anglais courant marquait, il y a une génération, une vraie sélection sociale. C’est pourquoi, à peine élue députée des Deux-Sèvres, la première action que j’ai lancée, c’est l’anglais en maternelle parce que l’apprentissage précoce est une chance ! Aujourd’hui, l’apprentissage des langues a beaucoup progressé à l’école mais ce fut longtemps le point faible des Français à l’international. J’aurais vraiment aimé parler cinq ou six langues. Il faut construire l’Europe des langues dès l’école primaire : en parler deux, en comprendre trois, par exemple. Ce qui est important, c’est de comprendre l’autre dans sa langue et de pouvoir s’exprimer dans la sienne.
ANOREXIE
Le gouvernement régional de Madrid a interdit à des mannequins trop maigres de monter sur le podium (point de vue partagé par le maire de Milan et le ministre anglais de la Culture). Pensez-vous que c’est un bon moyen de lutter contre l’anorexie ou est-ce un abus de pouvoir ?
L’anorexie est une maladie grave, un trouble profond du rapport à son corps qui frappe essentiellement les filles et peut conduire à la mort. L’adolescence est un âge ou` le corps se transforme et ou` cette évolution est parfois mal vécue. Ce sont des jeunes en souffrance et en détresse, comme tous ceux qui s’adonnent à des conduites à risques. Il faut être attentif aux premiers symptômes pour pouvoir les aider à temps. Et il ne faut pas que la société leur vante un idéal frelaté qui esthétise l’extrême maigreur. On m’a raconté qu’il existait aux Etats-Unis des blogs d’adolescents qui s’encouragent mutuellement à aller toujours plus loin dans l’anorexie. En France, d’après les chiffres du ministère de la Santé, 2 % des filles de douze à dix-huit ans seraient victimes de troubles anorexiques, parfois à en mourir. Les Espagnols ont brisé l’omerta des milieux de la mode. Je comprends leur décision comme un refus de complicité dans cette escalade de la maigreur meurtrière et comme une mesure symbolique qui rappelle à quel point des normes esthétiques contraignantes peuvent constituer une véritable aliénation pour les femmes.
ANPE
Malgré les efforts réalisés pour la moderniser, l’Agence nationale pour l’emploi ne remplit pas ses fonctions. Son ouverture totale à la concurrence en juillet 2007 est-elle une bonne solution ?
Il ne faut quand même pas mettre sur le dos de l’ANPE la responsabilité du chômage ! Ses agents font un métier difficile dans des conditions qui sont loin d’être idéales, comme le raconte Fabienne Brutus dans son livre Chômage, des secrets bien gardés (Jean-Claude Gawsewitch, 2006), ou` elle conteste les radiations expéditives des demandeurs d’emploi et la manière dont les personnels de l’Agence seraient obligés de dégonfler les statistiques par tous les moyens. Etre quotidiennement au contact de l’angoisse des chômeurs, c’est humainement lourd à porter. Cela dit, il faut effectivement que l’ANPE évolue. Ce n’est pas la mise en concurrence qui réglera les problèmes, d’ailleurs cette concurrence existe déjà avec les agences d’intérim. Je crois que c’est plutôt en améliorant et en rendant plus cohérent l’accompagnement individualisé des chômeurs qu’on gagnera en efficacité. Aujourd’hui, tout est encore trop fractionné : l’indemnisation avec les Assedic, la formation avec l’AFPA, la recherche d’emploi avec l’ANPE, cela fait beaucoup de guichets et de discontinuité. Mais les évolutions nécessaires ne doivent pas être imposées d’en haut, de manière technocratique et autoritaire. Il faudra négocier avec les partenaires sociaux dans la perspective d’un service public de l’emploi unifié, pour optimiser le travail des différents acteurs de la politique de l’emploi. Sans oublier les Régions qui doivent jouer un grand rôle dans la formation car elles sont plus près des besoins sur le terrain. Pour moi, tout cela est lié à la mise en place d’une véritable couverture professionnelle universelle qui sécurisera les parcours des salariés et des demandeurs d’emploi et suppose d’aller vers un interlocuteur unique. C’est dans le cadre de la mise en place de cette nouvelle sécurité sociale professionnelle, sur laquelle la CGT et la CFDT ont beaucoup travaillé, que le rôle de chacun pourra être utilement redéfini et le service public doté des moyens humains et matériels nécessaires à son efficacité.
APPRENTISSAGE
Pour ou contre l’apprentissage à quatorze ans ?
Je trouve invraisemblable cette façon de proposer pour les enfants des autres ce dont on ne voudrait pas pour ses propres enfants ! Ces ministres si pressés d’exfiltrer des adolescents de l’école nous ramènent au temps ou` l’on mettait précocement au travail les enfants des milieux populaires. Quelle régression ! Et quel mauvais coup porté à l’apprentissage que d’en faire une filière pour élèves en situation d’échec scolaire ou jugés trop remuants ! Les formations professionnelles ne sont pas moins nobles que les autres, on doit les choisir parce qu’on a le goût d’un métier et non y être orienté par défaut. Je suis personnellement convaincue de l’intérêt des formations en alternance – un temps à l’école et un temps en entreprise –, qui se développent d’ailleurs dans l’enseignement supérieur. Certains enfants peuvent s’y épanouir davantage que dans un cursus dont le seul horizon est la classe. Mais jusqu’à seize ans, terme de la scolarité obligatoire en France comme dans la plupart des pays européens, la République doit garantir à tous un bagage commun d’enseignement général, dans les filières professionnelles comme dans les autres. Donc, oui aux stages en entreprise et à l’apprentissage sur le terrain à partir de quatorze ans, mais sous le contrôle de l’Education nationale, garante d’un véritable projet éducatif.
AVOCATE
A la sortie de l’ENA, vous obtenez une équivalence pour accéder au barreau de Paris. En 1994, vous prêtez serment devant la cour d’appel et vous devenez avocate. Avez-vous déjà plaidé ?
C’est un beau métier que je n’ai que brièvement exercé. Défendre une personne ou une cause en mobilisant toutes les ressources du droit, matière subtile, et de la jurisprudence, qui laisse plus de latitude qu’on ne croit, conjuguer la rigueur de la démonstration et la chaleur de l’émotion, c’est un exercice passionnant. J’ai effectué en tant qu’avocate un déplacement à Ankara pour soutenir à son horrible procès Leïla Zana, députée kurde, et ses camarades qui ont passé plusieurs années en prison. Quand je vois l’actuelle paupérisation de la justice et des professions judiciaires, le désarroi de ceux qui ne reconnaissent pas leur métier dans cette « justice d’abattage » à laquelle les contraint le manque de personnels et de moyens, je me dis qu’en France l’Etat de droit a besoin qu’on le relève. La réforme promise par le gouvernement lors de l’affaire d’Outreau a malheureusement accouché d’une souris squelettique. Nos juges et nos avocats sont débordés, des greffiers manquent, les droits des mises en examen sont bafoués, nos prisons sont dans un état de délabrement honteux, au point que la promiscuité en fait un milieu pathogène… Il va falloir remettre cette institution sur pied car les Français doivent avoir confiance dans leur justice.