Une analyse de la politique monétaire selon Sarkozy, conseillée par Séverin

Une analyse intéressante par Pierre-Antoine Delhommais de la vision qu’a Sarkozy de la politique monétaire européenne, parue dans le Monde daté du 19 septembre :

 » Nicolas Sarkozy, personne ne peut le contester, a de la suite dans les idées. Durant la campagne présidentielle, il avait, à de multiples reprises, attaqué la Banque centrale européenne (BCE), dont la politique d’euro fort et de taux trop élevés était responsable, à ses yeux, d’une grande partie des maux économiques du pays (croissance molle, déficit commercial record, pouvoir d’achat médiocre, délocalisations, désertification industrielle, crise d’Airbus, etc.).
Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, avait aussi été une de ses cibles préférées, comme il avait déjà été, douze ans plus tôt, quand il était encore gouverneur de la Banque de France, celle du candidat Jacques Chirac. Mais tout cela n’avait rien de très surprenant : M. Sarkozy restait fidèle à la démagogie monétaire des prétendants à l’Elysée, persuadés qu’ils vont gagner des suffrages en expliquant que les banquiers centraux sont l’ennemi de la démocratie et du peuple. Mais, alors que M. Chirac, une fois installé à l’Elysée, s’était empressé de remiser ses critiques contre le franc fort et avait même mené un très rude combat contre les Allemands pour imposer la nomination de M. Trichet à la tête de la BCE, M. Sarkozy, au contraire, persiste et signe. En rentrant de Hongrie, il a dit à quelques journalistes tout le mal qu’il pensait de la politique suivie à Francfort.

Les confidences monétaires de M. Sarkozy ont de quoi inquiéter. D’abord parce qu’elles confirment – et renforcent – l’isolement économique de la France. Les autres capitales européennes ont vivement réagi aux propos du chef de l’Etat et pris sans hésiter la défense de la BCE. Elles jugent que M. Trichet fait plutôt du bon travail et que la stratégie qu’il mène est adaptée à leurs propres besoins économiques.

La croissance y est beaucoup plus forte qu’en France, bonnet d’âne avec 1,8 % de hausse du PIB prévu en 2007 par l’OCDE contre 2,6 % pour l’ensemble de la zone euro. Et les faibles taux de chômage, favorables aux revendications salariales, conjugués à la flambée des matières premières, y font craindre des tensions inflationnistes. Partout ailleurs qu’en France, la hausse des taux engagée depuis deux ans par la BCE est donc plutôt la bienvenue. Quant à la vigueur de l’euro, elle n’empêche pas la première puissance économique européenne, l’Allemagne, de dégager des excédents commerciaux records.

N’en déplaise à M. Sarkozy et à l’orgueil national, la BCE ne définit pas sa stratégie monétaire en fonction des données économiques de la France, mais de celles de l’ensemble de la zone euro. Ce n’est pas la faute de nos partenaires si notre économie se porte moins bien que la leur et si elle réclame des taux plus bas. Ce n’est pas au cancre d’imposer son rythme monétaire aux bons élèves de la classe. Les autres pays européens sont d’autant moins disposés à recevoir les leçons économiques de M. Sarkozy que les performances budgétaires françaises sont aussi les plus médiocres de la zone. Pendant que Berlin, Rome, Vienne, Lisbonne et Madrid font des efforts douloureux pour assainir leurs comptes publics, Paris estime pouvoir, sous prétexte de mener à bien des réformes structurelles, laisser filer les déficits. De quoi provoquer l’agacement du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, qui a dénoncé « le manque d’ambition » de la politique budgétaire française, formule que M. Sarkozy a visiblement jugé offensante, alors qu’elle n’était finalement que très indulgente.

Mais si les critiques du chef de l’Etat contre la BCE ont provoqué un tel tollé, c’est aussi qu’elles interviennent en pleine crise financière, dont nul ne connaît encore la durée et la gravité. Et qui effraie tous les gouvernements de l’Union. S’en prendre aujourd’hui à M. Trichet, qui tente tant bien que mal de colmater les brèches et d’éviter une panique bancaire généralisée, est jugé par les autres dirigeants européens totalement irresponsable. Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances, qui a eu l’outrecuidance de critiquer les orientations budgétaires de la France devant M. Sarkozy lui-même, ce que ce dernier ne lui a pas pardonné, juge que « dans un contexte de volatilité et de nervosité », les gouvernements doivent « rester prudents » et « savoir se taire ».

Mais un tel silence est au-dessus des forces du président de la République, comme semble l’être aussi toute forme d’humilité monétaire. M. Sarkozy explique ainsi volontiers que l’Allemagne s’est ralliée à son propre combat contre la sous-évaluation du yuan, alors que Berlin a depuis des mois dénoncé, en son nom propre et en tant que pays exerçant la présidence du G7, la faiblesse de la monnaie chinoise. De même, après que la BCE a renoncé à relever ses taux directeurs, début septembre, le chef de l’Etat avait estimé que ce statu quo était la conséquence de sa bonne influence.

Mais, aujourd’hui, M. Sarkozy exige plus et voudrait que l’institut d’émission baisse ses taux directeurs. Il souhaiterait qu’il s’inspire de ce que fait la Réserve fédérale des Etats-Unis. Cet éloge du modèle américain apparaît déplacé lorsqu’on sait que de très nombreux économistes dénoncent le laxisme de la FED. Elle a laissé se développer le marché explosif des crédits immobiliers à risque mais aussi inondé durant des années le marché de liquidités, avec pour effet de favoriser la formation d’une gigantesque bulle spéculative. Comme le souligne M. Trichet, une baisse des taux directeurs de la BCE profiterait bien plus aux investisseurs imprudents qu’aux citoyens européens. M. Sarkozy, l’ami des patrons, serait-il aussi celui des spéculateurs ?

De façon plus grave, les attaques de M. Sarkozy contre MM. Trichet et Juncker paraissent révéler son incapacité à admettre le principe même de contraintes extérieures et les mécanismes de l’économie mondialisée. A accepter l’idée que la croissance économique de la France puisse dépendre davantage du dynamisme des exportations chinoises, de l’appétit de consommation des Américains ou du bon vouloir des pays producteurs de pétrole, que de sa propre action. On peut comprendre la frustration que représente, pour quelqu’un qui aime tout contrôler, le fait de devoir subir des événements internationaux sur lesquels il n’a aucune prise.

Mais l’économie française se porterait-elle mieux si M. Sarkozy déterminait lui-même les taux d’intérêt, le niveau de l’euro face au dollar et s’il gérait lui-même l’épargne des ménages ? « Je veux un taux de croissance de 3 % », va jusqu’à affirmer M. Sarkozy, comme si la hausse du PIB pouvait être fixée par décret : à 3 %, pourquoi pas, mais pourquoi pas non plus à 4 % ou 5 % ? Ou même 10 %, comme les Chinois ?  »

http://abonnes.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-956471,0.html

Et un lien vers le journal suisse le Temps qui analyse les politiques menées aux Etats-Unis devant le risque réel de récession :

http://www.letemps.ch/template/tempsFort.asp?page=3&article=214933

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