Vélib’ : la banlieue prise en otage par Decaux ? par David Dornbusch

David Dornbusch, ex-candidat du PS aux élections législatives dans notre circonscription, a écrit une Tribune parue dans le Monde daté du mercredi 19 septembre :

 » Pour l’instant, l’opération de vélos en libre service Vélib’, lancée le 15 juillet, est un succès technique et populaire incontesté, et pourrait largement contribuer à la réélection de l’actuel maire de Paris en mars 2008. Pourtant, si la Mairie de Paris n’agit pas très rapidement, l’extension en banlieue pourrait ternir très largement ce succès et 6 millions d’habitants de la petite couronne devenir les otages de Vélib’et de la société JC Decaux !

Résumons la situation : fin 2006, la société Jean-Claude Decaux se voit attribuer le marché Vélib’ à Paris, face à deux concurrents, à l’issue d’un appel d’offres extrêmement mouvementé. L’intensité concurrentielle a été telle que, pour l’emporter, Jean-Claude Decaux a dû faire une offre finale trois fois plus ambitieuse – 20 600 vélos dans 1 451 stations – que sa proposition initiale – 7 500 vélos -, pour le plus grand bénéfice des Parisiens ! A peine six mois plus tard, malgré l’incrédulité initiale, plus de 600 stations sont en service, et l’ensemble marche “globalement très bien”. Le déploiement complet du système dans les vingt arrondissements progresse à grands pas. Sans-faute à Paris, donc !

Les maires de banlieue, en premier lieu des communes voisines de Paris, qui, craignant peut-être l’échec, avaient adopté un prudent attentisme, sentent alors le “bon coup” et souhaitent soudain tous implanter Vélib’ dans leur commune en vue d’assurer leur réélection. Ils se précipitent donc à Paris pour étudier comment étendre Vélib’.

Et là, ils découvrent le piège dans lequel ils sont enfermés. L’extension n’a pas été envisagée dès l’origine. Jean-Claude Decaux a donc mis en place son propre système technique “propriétaire” : bornes, capteurs, puces RFID, systèmes de payement, etc. Toute extension du dispositif en banlieue, sauf – hypothèse absurde – à ne pas être compatible techniquement avec le système parisien, ne peut donc être fournie que par Jean-Claude Decaux.

Cette société a payé très cher son implantation à Paris, mais, en échange, faute d’anticipation, a obtenu un incroyable monopole, l’extension de Vélib’ aux 6 millions de banlieusards de la petite couronne, voire au-delà. Si la “concurrence libre et non faussée” a pu jouer à plein dans la capitale pour permettre aux Parisiens de bénéficier d’un système exceptionnel, les communes de banlieue vont se trouver à négocier en situation de faiblesse, face à un industriel en situation monopolistique.

Dans un tel schéma, qu’on ne se fasse pas d’illusions, le marché est cruel. Decaux est une des plus belles aventures industrielles françaises depuis les années 1960, un modèle unique en termes d’innovation, mais, comme toute société bien gérée, elle sait tirer toutes les conséquences d’une situation de monopole. Les banlieusards vont payer au prix fort chacune des stations de Vélib’ qui seront implantées dans leurs communes. Les maigres bénéfices parisiens seront décuplés par les gras profits tirés des banlieusards.

Est-ce cela qu’on veut vraiment ? Les banlieusards doivent-ils être une nouvelle fois des citoyens de seconde zone par rapport aux citoyens de la ville-centre, dont ils ne sont séparés que par le périphérique ? Il existe une solution : exiger que Decaux déverrouille son système technique et laisse ses concurrents y accéder. Sortant d’un système “propriétaire”, on créera ici, comme dans le monde du logiciel, un système “libre”. La concurrence pourra à nouveau jouer à plein dans chacun des appels d’offres des communes de banlieue.

Bien sûr, les contrats sont signés, et le respect du droit commercial est une pierre angulaire de notre société. Mais tout se négocie, et un homme, Bertrand Delanoë, a maintenant l’occasion de montrer que son deuxième mandat sera celui du Grand Paris et que les 6 millions de banlieusards de la petite couronne seront aussi choyés lors de son second mandat que les 2 millions de Parisiens lors du premier mandat. Nous, banlieusards, comptons sur lui.  »

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-956560,0.html

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